FONCTION PUBLIQUE

FONCTION PUBLIQUE
FONCTION PUBLIQUE

Sous le terme de fonction publique, on a pris l’habitude, depuis quelques dizaines d’années, de rassembler tout ce qui a trait au personnel de l’administration de l’État et des collectivités publiques: recrutement, statut, carrière, condition. L’expression est née vers les années quarante comme une abstraction sans rigueur mais commode, à partir de la notion de fonctionnaire public, et elle est devenue d’usage courant dans la plupart des pays du monde.

La fonction publique, c’est d’abord l’ensemble des fonctionnaires; mais il faut y voir aussi une structure, un statut, une mission, un comportement, et même un état d’esprit.

Ainsi entendue, elle tient une place et joue un rôle dont l’importance a tendance à croître dans les États modernes. Dans tous les pays, l’État est devenu le premier employeur, et les effectifs de ses agents représentent souvent plus du dixième de la population active, se chiffrant ainsi dans les grands pays industrialisés à plusieurs millions.

L’Administration voit partout ses missions s’étendre et se diversifier. Il lui incombe toujours d’assurer le maintien de l’ordre dans la société et d’exercer les fonctions de souveraineté inhérentes à toute organisation étatique. Mais il lui faut également gérer un nombre croissant de services, dont beaucoup ont un caractère technique accusé. Enfin, elle prend en charge, de plus en plus, par des interventions innombrables et convergentes, tout le développement économique de la nation.

Les institutions n’étant rien sans les hommes qui les animent, c’est, finalement, la fonction publique qui constitue la clé de voûte de tout le système. Pour remplir des tâches si nombreuses et si diverses, il faut des hommes de toutes qualifications et de toutes spécialités constituant un ensemble dont la structure interne est nécessairement complexe et les frontières toujours mal définies. Chaque pays s’est efforcé, selon ses traditions et données propres, d’aménager sa fonction publique et de l’insérer au mieux dans l’ensemble de la nation.

La diversité est donc, aujourd’hui, le trait fondamental de la fonction publique, chaque État ayant la sienne propre, spécifique et irréductible à toute autre. Des affinités apparaissent néanmoins, qui permettent de regrouper les fonctions publiques nationales en quelques grands systèmes qui se partagent le monde; les diverses solutions adoptées s’ordonnent par référence à eux.

Après avoir examiné cette réalité sous l’angle de l’Administration qui emploie les fonctionnaires, on la considérera du point de vue de ces derniers, quant à leur position face à l’Administration et quant à leurs obligations et prérogatives.

1. Sociologie et droit

Les différents systèmes selon les nations

L’apparition de systèmes cohérents

La fonction publique, même si l’expression est récente, n’est pas une invention moderne. Dans toute organisation sociale, l’autorité publique éprouve le besoin de s’appuyer sur un personnel spécialisé pour assurer l’exécution de ses décisions et la gestion des tâches dont elle assume la responsabilité. L’Empire romain, comme celui des Incas, avait ses fonctionnaires, tout comme la Chine ses mandarins et la royauté d’Ancien Régime ses officiers de la couronne.

Mais la naissance de l’État moderne à l’époque de la Renaissance et sa systématisation dans les siècles qui ont suivi ont entraîné une institutionnalisation de cette fonction publique à laquelle on reconnaît une structure et une mission autonomes au sein de l’organisation sociale. Le serviteur du souverain est devenu fonctionnaire de l’État, cependant que se dégageaient les notions nouvelles de carrière et de statut.

Dans chaque État s’est ainsi constituée une fonction publique où se reflètent ses données géographiques, son développement historique, ses particularités ethniques, ses mentalités sociales et, bien entendu, son statut politique et son organisation juridique. Mais les fonctions publiques nationales ne se sont pas édifiées en vase clos; il y a eu influences et emprunts de pays à pays. C’est pourquoi, à l’heure actuelle, il est possible, sans trop forcer la réalité, de regrouper les fonctions publiques en quatre grands ensembles politico-géographiques: Europe occidentale, États-Unis d’Amérique, États socialistes, Tiers Monde, où l’on trouve des combinaisons assez analogues d’éléments relevant des deux systèmes opposés de fonction publique existant dans le monde d’aujourd’hui, à savoir la fonction publique, structure ouverte, et la fonction publique, structure fermée.

Structure ouverte ou structure fermée

La manière la plus simple de concevoir la fonction publique est d’en faire un métier comme un autre: l’Administration publique est considérée comme une vaste entreprise recrutant et gérant son personnel dans les mêmes conditions que toutes les autres entreprises industrielles, commerciales et agricoles de la nation. L’Administration apparaît alors comme un ensemble d’emplois dont chacun est défini d’une manière précise par la tâche qu’il implique, par la qualification qu’il exige, et, également, par la rémunération à laquelle il donne droit.

Le recrutement se fait très simplement. Pour chaque emploi, on cherche à trouver un agent répondant aux qualifications voulues et désireux de l’occuper. Les candidats se font connaître: débutants pour les emplois les plus simples, mais aussi agents ayant déjà une certaine expérience professionnelle, acquise aussi bien dans l’Administration publique que dans une entreprise privée. On les sélectionne par tel ou tel procédé et on les nomme sans garantie de durée. Au bout d’un certain temps, ils peuvent, sur simple préavis, quitter l’Administration pour un emploi convenant mieux à leurs aptitudes ou mieux rémunéré. En sens inverse, l’administration qui les occupe est également habilitée, après un simple préavis, à se séparer d’eux, soit qu’elle supprime l’emploi, soit qu’elle ne soit pas satisfaite de la façon dont ils l’occupent. Enfin, les agents de l’Administration se trouvent à son égard dans la situation juridique de tout employé vis-à-vis de son employeur, sans bénéficier d’avantages particuliers ni être soumis à des sujétions spéciales. Ce système a l’avantage, en permettant un va-et-vient à tous les niveaux entre le personnel des services publics et celui des entreprises, d’assurer à l’Administration une bonne intégration dans la nation et de la faire bénéficier des garanties de rendement et d’efficacité en vigueur dans le secteur privé. Mais il a l’inconvénient, en ignorant l’originalité propre de l’Administration publique et sa place particulière dans la nation, de la réduire devant l’opinion publique à une vaste entreprise assez terne et peu rémunératrice, qui risque fort de ne guère attirer les meilleurs.

À cette fonction publique ouverte, de style commercial, s’oppose, point par point, un autre système, celui de la fonction publique fermée, d’inspiration militaire. Les éléments essentiels de ce deuxième système sont à chercher dans les notions de carrière et de statut.

La carrière est un système hiérarchisé de grades et d’emplois. Le fonctionnaire y accède dès son entrée dans la vie active, au sortir de ses études, et, sauf accident, y passe toute sa vie professionnelle jusqu’à l’âge de la retraite, en y progressant pour occuper successivement des emplois de grade plus élevé, de rémunération supérieure et de responsabilité plus étendue. Les problèmes de recrutement et de formation prennent alors une tout autre dimension. Il ne s’agit plus de recruter et de former pour un emploi aux caractéristiques bien définies, mais pour toute une carrière qui peut être très variée et qui est appelée à se dérouler pendant les trente à cinquante années d’une vie professionnelle. Il faut également régler l’avancement par un mécanisme à la fois efficace et équitable.

D’autre part, la fonction publique ainsi entendue devient un métier à part, nettement distinct des autres activités professionnelles. Ceux qui l’occupent sont soumis à un corps de règles particulières qui constitue leur statut: celui-ci leur reconnaît certains droits ou avantages dont ne bénéficient pas toujours les autres professions, mais leur impose en contrepartie certaines obligations et sujétions supplémentaires dérivant des nécessités du service public. Le passage du secteur privé à la fonction publique en cours de carrière devient tout à fait exceptionnel. Ce système présente des avantages et des inconvénients inverses du précédent. Il dote l’Administration de fonctionnaires de métier, en général compétents et dévoués, ayant le sens de la chose publique. En revanche, il les isole au sein de la nation, il n’incline pas aux préoccupations d’efficacité et de rendement et, enfin, il est d’un aménagement beaucoup plus compliqué.

Diversité des solutions nationales

Europe occidentale

Tous les États de l’Europe de l’Ouest ont conçu leur fonction publique comme une structure fermée. Les fonctionnaires y font carrière et y sont soumis à un statut particulier. La carrière des fonctionnaires est l’objet d’un aménagement minutieux et complexe. Il concerne d’abord le recrutement qui s’opère traditionnellement «au mérite» par le procédé du concours, très généralisé en Europe continentale. La Grande-Bretagne confie l’opération à une institution originale, très indépendante, la commission du civil service , cependant que la France, combinant le recrutement et la formation, recourt à la formule des écoles spécialisées, telle l’École nationale d’administration. Dans un tel système, la formation tient nécessairement une place importante soit à l’entrée, soit en cours de carrière. La tendance est d’ailleurs dans tous les pays à en accroître la durée dans une perspective de formation permanente.

Le déroulement de la carrière est réglementé lui aussi selon un mécanisme précis d’avancement. Le statut accordé aux fonctionnaires, qui prend parfois la forme d’une charte constitutionnelle ou législative, s’attache à définir un équilibre entre les garanties qui leur sont accordées (au premier chef, la stabilité de leur emploi) et les obligations qui leur sont imposées. Sans être privés de l’essentiel des droits et libertés politiques reconnus à tous les citoyens, les fonctionnaires publics sont tenus à une certaine réserve et au respect d’une complète neutralité dans l’accomplissement de leur tâche professionnelle. Leur possibilité de se syndiquer et de faire grève est également réglementée.

En Europe de l’Ouest, la rémunération accordée aux fonctionnaires, tout en étant moins élevée que dans les professions libérales ou les milieux d’affaires, demeure décente. Mais le prestige dont jouit dans certains pays comme la France la haute fonction publique, qui attire une bonne partie de l’élite de la jeunesse, s’explique par de tout autres considérations, au premier rang desquelles l’intérêt de la fonction exercée et son indépendance.

Toutefois, si ce recours à une fonction publique de carrière est prédominant dans les pays d’Europe occidentale, il n’est pas exclusif, et à côté des fonctionnaires titulaires dont le statut vient d’être décrit subsistent, pour occuper des fonctions accessoires, temporaires ou spécialisées, des agents non titulaires, recrutés par contrat ou rémunérés à la vacation qui, tout en étant l’objet d’une certaine protection sociale, ne bénificient pas des garanties statutaires des fonctionnaires, tout spécialement de la sécurité de l’emploi.

États-Unis

Aux États-Unis, la fonction publique s’est organisée d’abord au niveau local avant de se développer et de se structurer à l’échelon fédéral. Spontanément, les Américains ont adopté la formule d’une fonction publique ouverte, considérant que l’Administration publique était une chose simple et ne justifiait pas un régime spécial dans la nation. D’autre part, il leur paraissait essentiel que le fonctionnaire demeure sous le contrôle étroit des citoyens. Lui accorder trop de garanties de stabilité aurait risqué de favoriser le développement d’une bureaucratie contraire aussi bien à l’efficacité qu’à la démocratie.

Un tel régime ne comportait donc ni aménagement de carrière ni établissement d’un statut. Le recrutement se faisait pour chaque emploi vacant. Et l’agent ainsi recruté n’avait aucune assurance de rester longtemps dans son poste. Au contraire, une rotation assez rapide des agents était préconisée et s’effectuait sur une très large échelle à chaque changement de majorité politique; c’est ce qu’on a appelé le système des dépouilles (spoils system ). Enfin, aucun effort n’était fait pour donner aux fonctionnaires une formation particulière ni à l’entrée ni en cours de service.

Mais, depuis quelques décennies, des réformes importantes sont intervenues. D’abord, comme en d’autres pays, on s’est efforcé de généraliser le recrutement au mérite (merit system ) et une commission du civil service a été créée sur le modèle britannique. Ensuite, une partie de l’Administration publique, notamment fédérale, s’est dotée de fonctionnaires de carrière (career system ) et une sorte de statut fort complexe s’est élaboré sur la base du système de la classification des emplois. Enfin, dans les universités se sont créés et développés des départements ou des instituts consacrés à la formation et au perfectionnement des fonctionnaires.

Néanmoins, la conception d’une fonction publique très ouverte continue à inspirer le régime des emplois supérieurs. Ils sont occupés par des spécialistes de toutes origines, venant très souvent du secteur privé, apportant leur expérience du management et leur souci d’efficacité. Ils sont à la discrétion du gouvernement qui les emploie, et soumis à un contrôle souvent minutieux et méfiant de la part du Congrès. Leur prestige est sans doute moindre qu’en Europe occidentale, mais non pas leur indépendance: certes, aucun statut ne la garantit, mais, à tout moment, il leur est loisible de quitter le service public et de se reclasser, très lucrativement, dans le secteur privé.

États socialistes

La fonction publique, dans la conception marxiste de l’État, se voit assigner une place mineure. Le corps des fonctionnaires doit se réduire à de simples mandataires élus, révocables à la première demande du peuple. En fait, dans tous les pays socialistes, l’appareil d’État a survécu, et avec lui les fonctionnaires. Mais les contours de la fonction publique n’en restent pas moins fort difficiles à discerner dans des régimes politiques où la quasi-totalité des travailleurs sont des agents de l’État.

On y trouve en général trois catégories. La première est celle des représentants élus dans les très nombreux organismes collégiaux qui détiennent le pouvoir. Les députés ne sont pas tous des professionnels de la fonction publique, mais les membres des comités exécutifs en ont bien la qualité. La deuxième catégorie est celle du personnel subalterne, qui est recruté par contrat de travail et placé dans la situation des travailleurs soumis au droit commun. Et, entre les deux, une troisième catégorie se développe: celle des fonctionnaires permanents qui dirigent les services proprement administratifs, et dont la condition se rapproche de celle des fonctionnaires de l’Europe de l’Ouest.

La fonction publique des États socialistes s’apparente au système de la structure ouverte. Le recrutement se fait souvent par élection sinon par nomination directe venant de l’autorité hiérarchique qui a étudié les dossiers des différents candidats. Le concours de type occidental est complètement ignoré. La carrière ne comporte aucune garantie de stabilité, et la plupart des agents peuvent être l’objet d’un licenciement discrétionnaire. Position, avancement, responsabilité, discipline, tout est étroitement soumis à l’autorité hiérarchique. Par principe, les fonctionnaires ne sont en rien privilégiés par rapport aux autres travailleurs. Leur rémunération n’est pas particulièrement élevée, mais des avantages en nature et certains traitements honorifiques leur sont néanmoins réservés. Enfin, tous les fonctionnaires sont politiquement engagés. À l’origine, en U.R.S.S., l’osmose entre la fonction publique et le Parti communiste faisait d’eux de simples agents d’exécution de la politique du parti. Ensuite, le système est devenu plus souple; il l’a d’ailleurs toujours été dans les autres démocraties populaires. La conception d’une fonction publique au service de la nation, et non pas seulement d’une idéologie dominante, commence même à prévaloir et les transformations politiques intervenues dans les pays de l’Est à partir de l’année 1990 précipitent ce mouvement qui ramène progressivement la fonction publique de ces pays vers le modèle occidental.

Tiers Monde

Dans les États en voie de développement, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, l’Administration publique et, par suite, la fonction publique sont appelées à jouer un rôle essentiel, car elles sont l’indispensable instrument du développement économique et social. On en a aujourd’hui clairement pris conscience, et les efforts pour doter ces nouveaux États d’une fonction publique moderne et efficace n’ont pas manqué.

Le système de référence est pratiquement toujours celui de la fonction publique à structure fermée, avec aménagement de carrière et établissement de statuts. La tradition en était déjà implantée dans toutes les anciennes colonies européennes. D’autre part, cette formule répond le mieux aux exigences d’une Administration en cours de formation et aux possibilités de pays aux ressources humaines limitées.

La constitution de ces fonctions publiques se heurte partout à de grandes difficultés. Le recrutement pose de redoutables problèmes quantitatifs et qualitatifs. La plupart des États se sont dotés soit d’écoles d’administration de type français, qui mettent l’accent sur la formation avant l’entrée en service, soit d’instituts d’administration publique, d’inspiration anglo-saxonne, qui se consacrent davantage à la formation en cours d’emploi. La rémunération de leurs fonctionnaires est, pour tous les États du Tiers Monde, une charge extrêmement lourde qui absorbe la plus grande part de leur budget. Elle est rarement à un taux suffisant pour assurer à tous les fonctionnaires un niveau de vie décent les mettant à l’abri des tentations de la vénalité et de la concussion ou, à tout le moins, permettant aux autorités responsables d’engager la lutte contre ces fléaux.

Les rapports entre la fonction publique et la politique se présentent dans le Tiers Monde sous un jour particulier. Dans un système d’État fort, où toutes les forces de la nation, sous l’impulsion d’un parti unique, sont tendues vers l’objectif prioritaire du développement, la formule d’une fonction publique politiquement engagée trouve tout naturellement sa place. Mais si elles n’ont pas à rechercher une neutralité politique généralement inadéquate, ces jeunes fonctions publiques ont encore à acquérir, dans la plupart des cas, le sens du service public.

Les problèmes inhérents à la fonction publique

Gestion de la fonction publique

Le considérable développement en volume et en complexité de la fonction publique dans les États modernes implique d’importants problèmes de gestion: ordonner tout ce mécanisme minutieux de nominations, affectations, notations, promotions, rémunérations; classer les emplois et, le cas échéant, aménager les carrières ainsi qu’élaborer les statuts; arrêter enfin des politiques de recrutement et de formation à moyen terme et même à long terme. Toutes ces exigences ont entraîné dans tous les pays une multiplication des organes et une transformation des méthodes de gestion de la fonction publique.

La gestion du personnel administratif se fait en général à trois niveaux. À la base, un bureau se trouve toujours chargé des questions de personnel, en contact étroit avec les intéressés, préparant les décisions individuelles courantes, notamment l’établissement de la paye mensuelle. À un niveau plus élevé, les départements ministériels ont tous une direction qui gère le personnel, organise les recrutements, les affectations et harmonise, selon une politique générale, la gestion des unités de base. Enfin, des organes interministériels coiffent l’ensemble. Il arrive d’abord qu’un ministère soit appelé à jouer un rôle coordinateur, tel le ministère des Finances en France, la Trésorerie en Grande-Bretagne, le ministère de l’Intérieur en Allemagne fédérale. Puis des organismes spécialisés apparaissent: commissions du civil service dans les pays anglo-saxons – agences du personnel – ou directions de la fonction publique ailleurs. Pour couronner le tout, un ministre se voit confier la responsabilité de la fonction publique au sein de l’équipe gouvernementale.

Les méthodes de gestion de la fonction publique, demeurées longtemps à la fois traditionnelles et autoritaires, évoluent doublement à l’heure actuelle. Les techniques modernes de gestion font leur apparition avec l’utilisation de procédés plus rigoureux de sélection, l’élaboration d’une programmation des besoins en personnel, et surtout le recours aux ordinateurs pour la rémunération des corps à gros effectifs. D’autre part, la participation du personnel à sa propre gestion est institutionnalisée dans certains pays: conseils Whitley en Angleterre, commissions administratives paritaires en France.

Recrutement et sélection

L’histoire de la fonction publique est d’une grande richesse dans le domaine du recrutement et de la sélection des fonctionnaires. L’Antiquité a connu l’élection et le tirage au sort. Le bas Empire romain et le Moyen Âge ont préféré l’hérédité et la cooptation. L’Ancien Régime a expérimenté le système de la vénalité des charges. Plus souvent encore, les postes administratifs ont été distribués selon la faveur politique (spoils system ) ou la recommandation familiale (népotisme). Ces pratiques n’ont pas toutes disparu, mais, sur le plan des principes, un accord assez général s’est établi en faveur de l’égalité d’accès de tous aux emplois publics et d’une sélection opérée sur la base du mérite.

Le principe de l’égal accès de tous aux fonctions publiques a été formulé à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen; il s’accommode, bien entendu, de conditions générales tenant à l’âge, à la nationalité et aux capacités. Mais il exclut toute discrimination tenant à la race, au sexe, à la classe sociale et aux opinions politiques ou religieuses. La situation est, en fait, assez variable d’un pays à l’autre. Parfois un système de quotas est mis en place pour assurer un rapport constant entre les effectifs de l’Administration et les divers groupes ethniques, confessionnels ou régionaux. Ailleurs, l’accès des femmes à la fonction publique est l’objet de limitations de droit ou de fait. Souvent, la profession de certaines opinions politiques est jugée incompatible avec l’accès à la fonction publique.

Le système du mérite a l’avantage de concilier au mieux la démocratie et l’efficacité, d’éviter l’arbitraire et d’assurer un minimum de qualification. Il est mis en œuvre de bien des manières, dont la plus souple est un libre choix de l’autorité investie du pouvoir de nomination et la plus rigoureuse le concours sur épreuves écrites et anonymes corrigées par un jury indépendant. Entre les deux se développe toute une gamme de procédés de sélection, de l’examen sur dossier aux tests psychotechniques en passant par les stages et l’interview, la meilleure formule étant sans doute une combinaison de plusieurs de ces procédés, afin d’apprécier aussi bien les connaissances du candidat que son aptitude à la fonction envisagée.

Formation et perfectionnement

La conception a prévalu longtemps, notamment en Angleterre, de l’inutilité d’une formation particulière à la fonction publique. À condition d’avoir une bonne culture générale et suffisamment de bon sens, les fonctionnaires apprenaient leur métier dans le service au contact de leurs aînés et au fil des changements d’affectation. Cette conception n’est plus défendue nulle part. L’extension des attributions de l’Administration implique une formation spécifique. D’autre part, l’accélération des transformations du monde moderne impose un effort de perfectionnement et de recyclage. Un effort massif de formation est encore plus nécessaire dans les pays neufs, où la fonction publique est à créer de toutes pièces.

Cette formation doit viser à la fois à doter les fonctionnaires des connaissances de base, notamment juridiques et économiques, des techniques adaptées aux tâches de prévision, d’encadrement, d’organisation, de contrôle et de gestion, et enfin de l’éthique propre au service public; elle ne peut se confondre entièrement avec celle qui concerne l’administration des entreprises. Le vaste développement des écoles, centres et instituts d’administration publique en est la conséquence. Ils sont de structure et de style très divers. Les uns ont été créés dans l’université, les autres sont des établissements purement administratifs. Certains combinent recrutement, sélection et formation. D’autres se bornent à des tâches de perfectionnement. Cette formation peut être obligatoire et sanctionnée, constituant le préalable nécessaire à l’entrée dans la carrière ou à la promotion. Elle peut aussi être facultative et laissée à la libre initiative des fonctionnaires eux-mêmes et des administrations qui les emploient. Enfin, elle est dispensée selon toute une gamme de méthodes, des plus classiques: cours magistral ou stage dans un service actif, aux plus modernes: discussions en séminaires, travaux sur dossiers, méthode des cas, simulation de gestion, etc.

Classification des cadres et des emplois

Dans tous les pays modernes, la fonction publique représente une énorme masse d’emplois dans laquelle il importe évidemment de mettre de l’ordre. Une première classification verticale découle de la structure même de l’Administration: certains emplois relèvent de l’État, d’autres des diverses collectivités publiques secondaires. Parmi les premiers, le rattachement se fait en général par départements ministériels et, au sein de chacun d’eux, par direction, service. Mais si l’on veut éliminer l’arbitraire, l’inégalité, la concurrence et le débauchage entre services, une seconde classification, horizontale et fonctionnelle, est nécessaire pour soumettre à un régime commun les emplois comparables à travers les services les plus divers.

Ce mode de classification des emplois est relativement simple dans les fonctions publiques de type ouvert, comme celle des États-Unis. Chaque emploi fait l’objet d’une description minutieuse précisant les fonctions à accomplir, les qualifications requises et la rémunération qui lui est assortie. Ces jobs descriptions sont ensuite regroupées en catégories homogènes, ce qui permet des solutions d’ensemble en matière de recrutement et de rémunérations et, d’une façon plus générale, pour toute la gestion de la fonction publique.

Dans les pays où prévaut le système de l’administration de carrière, l’opération de classification des emplois, toujours aussi nécessaire, devient plus compliquée. On ne peut se contenter de cette mise en ordre de type instantané. Il faut y inclure un prolongement dans le temps, puisque les carrières se déroulent sur de nombreuses années. La formule généralement utilisée est celle du cadre qui regroupe les emplois successivement offerts aux agents soumis aux mêmes conditions de recrutement et de carrière. Ces cadres sont eux-mêmes inclus dans les classes (civil service britannique) ou catégories (fonction publique française) qui situent, de façon très générale, leur niveau hiérarchique.

Aménagement des carrières

Aménager les carrières, c’est essentiellement résoudre trois séries de problèmes concernant respectivement le régime des positions, le mécanisme des promotions, la réglementation de la cessation des fonctions.

Une fois recruté et titularisé, le fonctionnaire doit être affecté à un emploi et peut en être muté soit sur sa demande, soit sur ordre de ses supérieurs. Il faut aussi qu’à certaines conditions on puisse le détacher dans un cadre différent, le mettre à la disposition d’un autre service, lui accorder, pour des motifs familiaux ou professionnels, l’autorisation de quitter temporairement l’Administration en se faisant mettre en disponibilité. Toutes ces positions doivent être définies et leur régime réglementé dans le souci d’assurer aux fonctionnaires un déroulement harmonieux de leur carrière, tenant compte au mieux de leurs aspirations personnelles, et plus encore de répondre aux besoins prioritaires du service.

La notion même de carrière implique une progression régulière dans une hiérarchie de grades ou d’emplois. Il faut donc que soit mis en place un mécanisme de promotion qui en règle le déroulement. La plupart des pays combinent à cette fin l’ancienneté et le choix. La première assure surtout une progression dans l’échelle des rémunérations. Le second tient une place prépondérante pour l’accès aux fonctions de responsabilité et d’autorité supérieures. Mais ce choix doit être fondé sur le mérite, d’où la nécessité de tout un système de notation.

Enfin, la cessation des fonctions soulève deux séries de problèmes. La carrière suppose une large stabilité de l’emploi, qui ne saurait cependant aller jusqu’à l’inamovibilité. Le licenciement ou le dégagement des cadres doivent être prévus, notamment pour insuffisance professionnelle ou pour suppression d’emploi, mais en même temps assortis de sérieuses garanties. Quant à la cessation normale des fonctions en fin de carrière, elle est en général commandée par une limite d’âge dont les variations découlent de la nature des fonctions occupées et de la situation générale de l’emploi dans le pays considéré.

Établissement des statuts

Les fonctionnaires publics sont soumis à un ensemble complexe et minutieux de règles juridiques qui, dans les pays à fonction publique ouverte, constituent un chapitre particulier du droit du travail et, dans les autres, un élément essentiel du droit administratif. Mais qu’elles soient de nature contractuelle, constitutionnelle, législative ou réglementaire, qu’elles ressortissent au droit privé ou au droit public, qu’elles soient appliquées par les tribunaux judiciaires ordinaires ou par les juridictions administratives autonomes, ces règles nécessaires, et souvent très voisines dans leur contenu, constituent ce qu’on appelle, dans l’acceptation la plus large, les statuts de la fonction publique.

Ces statuts ont d’abord pour objet de définir, sur le plan des principes pour l’ensemble des fonctionnaires et en détail pour chaque catégorie particulière, tout ce qui a trait aux carrières et à leur déroulement: recrutement, sélection, formation, nomination, position, notation, avancement, congés, rémunération, sortie du service, etc. Ils définissent, d’autre part, l’équilibre des droits et obligations propres aux fonctionnaires publics qui bénéficient de certains privilèges (telle une meilleure stabilité de leur emploi) que ne possèdent pas les autres salariés, mais sont soumis, en revanche, à certaines sujétions qui leur sont propres (telle l’interdiction de faire grève). Enfin, les statuts fixent les garanties dont disposent les fonctionnaires pour faire respecter les avantages de leur statut et le régime de responsabilité à la fois pénale, civile et disciplinaire qui sanctionne leurs obligations. Il en résulte une construction juridique fort complexe qui se présente tantôt sous la forme de textes écrits, tantôt sous celle de pratiques coutumières ou de solutions jurisprudentielles.

Rémunération des fonctionnaires

Ce problème revêt deux aspects bien différents selon qu’on considère la masse globale des rémunérations des fonctionnaires dans la nation ou leur aménagement interne au sein de la fonction publique.

Cette masse constitue toujours une part importante des dépenses publiques et est l’objet d’arbitrages budgétaires difficiles. De son montant dépend le niveau de rémunération des fonctionnaires par rapport aux autres travailleurs de la nation. Dans de nombreuses nations en voie de développement, ce niveau est très insuffisant, se situant même parfois au-dessous du minimum vital. Quant aux États industrialisés, le niveau de rémunération des fonctionnaires est en général décent. Il reste néanmoins toujours inférieur à celui qui est en usage dans le secteur privé ainsi que, là où il existe, dans le secteur nationalisé. Aussi les fonctionnaires ne cessent-ils de revendiquer une parité avec les autres professions, qui leur est souvent promise et rarement accordée.

La répartition de cette masse salariale entre les nombreuses parties prenantes de la fonction publique est l’objet d’une réglementation des plus minutieuses établie dans un souci d’ordre et d’égalité. Les divers éléments en sont définis avec précision: traitement de base, avantages familiaux, indemnités particulières, pensions d’invalidité et de retraite. Le montant en varie avec l’emploi, le grade, l’ancienneté et parfois le rendement. L’établissement des barèmes constitue même l’objet principal de l’opération de classification des emplois. Et, dans les fonctions publiques fondées sur le système de la carrière, il a entraîné la mise au point de grilles indiciaires assurant de façon automatique, à travers les étapes de la croissance économique, la cohérence de tout le système.

2. Situation et mission des fonctionnaires

Le fonctionnaire est au service de l’État ou d’une organisation internationale. Cette mission – le service d’une personne publique – revêt un caractère spécifique en raison de l’importance des intérêts qui sont en cause et de la nature de la tâche à accomplir. Elle exige que soit attribuée à celui qui en est investi une situation particulière dans laquelle seront determinés les rapports qui doivent s’établir entre l’entreprise administrative et l’agent, ainsi que l’ensemble d’obligations et de droits destinés à orienter l’activité de ce dernier.

En Europe, on a traditionnellement considéré les fonctionnaires comme des travailleurs distincts des autres. Les analyses sociologique et juridique les ont présentés comme des personnages à part, dotés d’un statut exceptionnel, ayant dans leur service des attitudes et des comportements originaux, soumis à une stricte autorité hiérarchique et titulaires de droits et d’obligations exorbitants.

Cette analyse classique s’est heurtée aux transformations qui se sont opérées dans la conception de l’État. La fonction administrative ne se traduit plus principalement par des activités de police, mais par des activités de service public dont l’objet peut être industriel, économique ou social, ce qui conduit l’État à utiliser un personnel dont la situation se rapproche de celle des employés privés. Du fait que les libertés publiques sont mieux reconnues que jadis, les fonctionnaires admettent difficilement que les droits fondamentaux qu’ils détiennent en qualité de citoyens puissent être l’objet de restrictions. Les tentatives faites pour introduire l’idée de démocratie dans l’Administration mettent directement en cause la subordination hiérarchique.

La diversité des doctrines et des systèmes politiques a des répercussions directes sur la situation des intéressés. Aux États-Unis, la volonté de voir dans l’Administration un ensemble d’opérations comparables à celles qui s’effectuent dans toute entreprise conduit à opposer moins catégoriquement le fonctionnaire à l’employé privé. Dans les États socialistes, on affirme qu’il est serviteur de la communauté socialiste comme tous les travailleurs. Enfin, avec le développement de la société internationale, est apparu un personnage nouveau: le fonctionnaire international, rattaché à une organisation par un lien fonctionnel et indépendant à l’égard de toute autorité étatique.

Tenant compte de ces transformations et de la diversité qu’elles ont entraînée dans leur position, on dégagera les caractères d’ordre sociologique et juridique qui restent propres aux serviteurs des personnes publiques en considérant successivement la situation qui leur est faite dans l’entreprise administrative et l’ensemble des droits et des obligations liés à la mission qui leur est confiée.

Le fonctionnaire et l’Administration

La situation du fonctionnaire

La spécificité de la situation du fonctionnaire tient à la nature même de la tâche qui lui incombe. Assurant le service de l’État, le fonctionnaire gère le patrimoine de la nation, exécute la politique définie par le gouvernement et garantit le maintien de l’ordre. Il est le commis de l’État, mais un commis qui est détenteur d’une parcelle de puissance et qui doit assurer un service public. À la différence de l’employé de l’entreprise privée qui a en face de lui une clientèle, le fonctionnaire est en rapport avec des administrés qui sont des assujettis, des ressortissants ou des usagers, ce qui entraîne à la fois des contacts humains et des relations d’autorité. On conçoit que les fonctionnaires tendent à constituer en maints pays une classe sociale dans la nation pour laquelle l’idée de service serait passée avant celle de profession.

Il appartient au droit d’exprimer la spécificité de la situation du fonctionnaire. Les États européens qui possèdent un régime administratif définissent le fonctionnaire comme l’agent qui occupe un emploi permanent dans les cadres d’un service public. En vue de qualifier les rapports juridiques existant entre le fonctionnaire et l’Administration, on a souvent fait appel à la notion de contrat, considérant surtout l’échange de volontés qui se produit à l’occasion de l’entrée dans le service public.

Cette thèse contractuelle, longtemps soutenue en Allemagne et en France, a été progressivement abandonnée parce qu’elle méconnaissait le particularisme de la situation du fonctionnaire. Législation et jurisprudence affirment aujourd’hui que le fonctionnaire est dans une situation statutaire définie de manière générale dans les lois et les règlements. Cette situation ne peut donner lieu à des conventions particulières entre l’Administration et l’agent, mais elle est toujours modifiable par l’autorité, selon les exigences du service, sans que le fonctionnaire puisse faire état de droits acquis.

Cette analyse, toutefois, ne vaut pas pour l’ensemble du personnel de l’Administration. Dans les pays qui ont un régime administratif, un nombre important d’agents publics se distinguent des fonctionnaires proprement dits. Ce sont les agents employés à titre temporaire ou auxiliaire; ce sont surtout les agents utilisés dans la gestion des services publics économiques ou sociaux; dans tous ces domaines a été maintenue une situation contractuelle très proche de celle des employés privés. De leur côté, les pays anglo-saxons sont restés attachés à la conception contractuelle, à laquelle ils apportent d’ailleurs certains aménagements. Enfin, dans les États socialistes, on distingue le rapport de travail, considéré comme un rapport contractuel, de l’acte qui attribue les fonctions administratives.

À mi-chemin entre la situation statutaire et la situation contractuelle se place celle des fonctionnaires internationaux. La diversité des conceptions qui s’affrontent dans toute organisation internationale a conduit à une solution de transaction et de synthèse, généralement un contrat d’adhésion à un ensemble de règles statutaires élaboré par l’organisation et imposé à l’agent.

La carrière du fonctionnaire

L’intégration dans l’entreprise administrative fait apparaître chez l’agent public un ensemble d’attitudes et de comportements qui ont été étudiés par la science administrative. L’analyse psychologique a permis de déceler chez le fonctionnaire l’esprit de service, c’est-à-dire le sentiment qu’ont les divers agents d’un même service de constituer une entité autonome, ainsi que l’esprit de catégorie qui est commun aux agents qui exercent des fonctions identiques et qui sont soumis à un même statut. Le fonctionnaire s’intéresse plutôt aux buts limités dont il est directement responsable qu’aux buts généraux poursuivis par l’Administration. Il est évident que le fonctionnaire souhaite améliorer son niveau de vie, mais la volonté de participer au pouvoir en collaborant à l’élaboration de la décision est – du moins à un niveau élevé – un mobile d’action puissant et généralisé. Ces éléments expliquent que l’agent public associe à sa fonction l’idée de carrière; il est largement admis en Europe que le fonctionnaire doit consacrer sa vie au service public: étroitement soumis au pouvoir hiérarchique, il est normalement appelé, contrairement à l’employé privé qui accomplit la même tâche technique dans plusieurs entreprises, à occuper divers emplois et à gravir les grades successifs de la hiérarchie. L’idée de carrière reste pourtant assez limitée dans le cas du fonctionnaire américain, qui est surtout un technicien destiné à servir indifféremment l’Administration et l’entreprise privée, et dans le cas du fonctionnaire international, qui peut appartenir à une organisation conjoncturelle.

L’entrée dans le service public est déterminée du côté des agents par le besoin de sécurité, et souvent par un certain goût du prestige. Malgré le principe du libre accès et de l’égale admissibilité de tous, les femmes s’orientent vers des emplois d’exécution ou des emplois moyens, mais elles n’occupent qu’un nombre très limité d’emplois supérieurs. Si l’on s’accorde à formuler des conditions relatives à l’âge, à la santé et à la nationalité, on est plus hésitant devant les conditions de loyalisme à l’égard du gouvernement: les États totalitaires exigent un attachement absolu aux principes du régime. Les démocraties libérales se sont efforcées de maintenir le principe d’égalité en l’assortissant de réserves fondées sur la nature des emplois.

L’agent qui a satisfait aux conditions de recrutement est l’objet d’une nomination qui l’intègre définitivement dans les cadres administratifs. Il est alors soumis constamment à l’autorité hiérarchique qui intervient à tous les moments de sa carrière: affectation, acte particulièrement important qui détermine la nature de la tâche à accomplir et le milieu dans lequel elle sera effectuée; avancement, cessation des fonctions, admission à la retraite, licenciement, démission ou révocation. Cette intervention de l’autorité hiérarchique s’effectue conformément à une réglementation juridique et elle est tempérée, comme on l’a vu, par une tendance récemment affirmée à faire participer les agents à l’élaboration des décisions qui intéressent leur situation par l’intermédiaire d’organismes ou de commissions à caractère paritaire.

Le fonctionnaire et sa mission de service public

Les obligations

Les fonctionnaires sont soumis à des devoirs qui concernent d’abord l’accomplissement de la fonction. Si, comme tous les employés, ils doivent exécuter les tâches qui leur sont confiées, ils ont généralement l’obligation de se consacrer exclusivement à leur fonction et se voient interdire aussi bien l’exercice d’une profession privée que le cumul de plusieurs emplois administratifs. Dans certains pays, en France notamment, l’Administration peut s’opposer à la démission d’un fonctionnaire en se fondant sur les exigences du service public. Ces mêmes exigences conduisent à imposer la continuité dans le service, ce qui entraîne une interdiction ou une limitation du droit de grève. Dans leurs rapports avec l’autorité hiérarchique, les fonctionnaires sont soumis au devoir d’obéissance qui est affirmé dans tous les systèmes juridiques et qui se traduit par une stricte exécution des ordres et des instructions. Dans la pratique, les agents jouissent d’une marge raisonnable d’autonomie et d’initiative; on admet, dans la théorie juridique, que le fonctionnaire peut être délié de son devoir d’obéissance lorsque l’ordre donné est entaché d’une irrégularité grave et manifeste. Enfin, les obligations se situent sur un plan moral. Les législations imposent toujours le devoir de probité et le devoir de discrétion en ce qui concerne les faits et les informations connus à l’occasion de l’exercice de la fonction. Le devoir de dignité, fortement souligné en Allemagne ou dans les organisations internationales, oriente la conduite des agents dans leur vie professionnelle et privée.

La limitation des droits individuels

Les fonctionnaires doivent accepter que certains des droits individuels dont ils peuvent se prévaloir en qualité de citoyens soient l’objet de restrictions.

Ils ont revendiqué avec force et ténacité le droit de constituer des associations et des syndicats, dans lequel ils voyaient un moyen puissant pour défendre leurs intérêts professionnels. Les résistances exprimées par les États s’expliquent par la volonté de maintenir le principe hiérarchique et par la crainte que l’intérêt général ne s’efface devant les intérêts particuliers. Reconnu aux citoyens privés, ce droit a été étendu aux fonctionnaires nationaux et internationaux, mais cette reconnaissance n’est pas générale et se trouve fréquemment restreinte par la nécessité de concilier l’exercice de cette liberté avec les exigences de la hiérarchie.

C’est au sujet du droit de grève et de la liberté d’opinion que se manifestent les plus sérieuses réticences. Largement reconnu aux employés des entreprises privées, le droit de grève a longtemps été refusé aux fonctionnaires, auxquels on opposait les lois de la hiérarchie et du service public. C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que les agents publics ont obtenu la reconnaissance de ce droit, mais non sans hésitations ni réserves. Les États qui l’ont affirmé, telles la France ou l’Italie, l’ont assorti de limitations fondées sur le devoir de l’autorité gouvernementale de maintenir l’ordre public et d’assurer le fonctionnement des services. Des discussions très vives se poursuivent actuellement en matière de liberté d’opinion. On s’accorde pour exiger des fonctionnaires un loyalisme à l’égard de la nation ainsi qu’à l’égard du régime, mais on est moins rigoureux pour le loyalisme à l’égard du gouvernement. C’est ainsi que, dans les démocraties libérales, les fonctionnaires peuvent exprimer leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques, à condition de garder une certaine réserve qui se définit en fonction de la nature de l’emploi et des circonstances de temps et de lieu. Quant aux fonctionnaires internationaux, on leur interdit généralement toute activité politique, et ils doivent faire preuve d’attachement à l’idéologie qui anime l’organisation à laquelle ils appartiennent.

Les prérogatives et les privilèges

Le fonctionnaire actuel est titulaire de droits qui reposent sur l’idée de service public et qui tendent à se rapprocher de plus en plus de ceux qui sont reconnus aux employés privés.

C’est ainsi que le droit au traitement a longtemps présenté un caractère spécifique en ce sens que la rémunération était conçue en vue de permettre au fonctionnaire de tenir le rang social exigé par la fonction. Mais, aujourd’hui, ce caractère s’est beaucoup atténué: le traitement de l’agent public, s’il reste souvent insaisissable, s’accompagne de nombreuses indemnités qui sont liées à la nature du travail fourni, et les avantages sociaux sont identiques à ceux de tous les salariés.

Les fonctionnaires bénéficient surtout d’un droit à la stabilité de l’emploi qui interdit à l’Administration de les licencier en dehors des cas de faute grave, d’insuffisance professionnelle ou de suppression d’emploi légalement organisée. Rigoureux dans les systèmes juridiques de l’Europe continentale, ce droit reste lié au contrat dans tous les cas où a été conservée la conception contractuelle. La nature même de la fonction publique internationale veut que son titulaire ne jouisse pas d’une stabilité absolue, mais certaines organisations s’efforcent actuellement d’assurer à leur personnel une sécurité plus grande en proposant des contrats à durée indéterminée résiliables dans les seules hypothèses de démission, de faute grave où de retrait d’emploi dans l’intérêt du service.

Les fonctionnaires, enfin, sont toujours l’objet d’une protection spéciale. S’ils disposent de recours devant les juridictions nationales ou internationales, ils sont surtout défendus contre les menaces ou les attaques par des dispositions pénales, et il est souvent admis que des poursuites ne peuvent être engagées contre eux sans l’autorisation de l’Administration. Les fonctionnaires internationaux jouissent d’avantages appréciables – immunité de juridiction, exonération fiscale, facilités d’immigration, de résidence et de rapatriement – qui se justifient par la nécessité de leur assurer une indépendance complète dans l’exercice de leur mission.

Les responsabilités

Il importe assurément de soumettre l’agent public à un contrôle efficace, mais celui-ci doit être conçu de manière à ne pas diminuer son esprit d’initiative et à ne pas entraver le fonctionnement des services. La responsabilité qui pèse sur les fonctionnaires diffère de celle des agents privés par son caractère tantôt plus rigoureux, tantôt plus limité.

Il s’agit d’abord d’une responsabilité disciplinaire qui sanctionne les manquements aux diverses obligations. Le pouvoir disciplinaire est attribué à l’autorité hiérarchique ou à des organismes qui, dans leur fonctionnement, se rapprochent de juridictions. La faute disciplinaire est toujours définie de manière très générale comme un manquement aux devoirs de fonction; les sanctions, par contre, sont expressément formulées et atteignent l’agent dans sa situation professionnelle. Des garanties diverses – communication des griefs, comparution de l’intéressé, assistance d’un défenseur – interviennent dans la procédure et sauvegardent la liberté du fonctionnaire. Les responsabilités se situent également aux niveaux pénal et civil. Le droit pénal retient des infractions qui, tels l’abus d’autorité, la concussion ou la corruption, sont propres aux agents publics. La responsabilité civile des fonctionnaires est toujours admise pour les dommages qu’ils peuvent causer, mais la responsabilité de l’État est souvent substituée à celle de l’agent, ce qui conduit à reconnaître à l’Administration la faculté de se retourner contre le fonctionnaire fautif.

3. Les fonctionnaires dans la société française

La refonte du statut général des fonctionnaires, opérée par les lois du 13 juillet 1983, du 11 janvier 1984 et du 26 janvier 1984, qui constituent les titres I, II et III du statut général des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales, a mis en lumière un certain nombre de paradoxes dont le moindre n’est pas la difficulté de cerner l’image des fonctionnaires français. Aujourd’hui, les agents publics ne constituent plus, comme au siècle dernier, une faible minorité dans le pays. En 1850, le nombre d’agents au service de l’État et des collectivités locales s’élevait approximativement à 250 000 (chiffre auquel il convenait d’ajouter 42 000 ministres du culte), soit 1,5 p. 100 de la population active. À la fin du XIXe siècle, ils étaient au nombre de 500 000. En 1984, en ajoutant aux 2 700 000 agents de l’État les 1 200 000 fonctionnaires locaux et les quelque 1 100 000 salariés des entreprises publiques et de la Sécurité sociale, on arrive à un total de 5 millions de personnes employées dans le secteur public, soit un cinquième de la population active ou le quart des salariés.

Généralement perçus comme une catégorie bien déterminée de travailleurs, soumis par leur employeur, l’État, à des obligations particulières assorties de garanties spécifiques, constituant, selon certains, une véritable strate sociale dont les comportements résultent de l’appartenance à un milieu commun et de solidarités naturelles, les fonctionnaires représentent, en fait, un groupe hétérogène et diversifié.

Une image sociale contrastée

Les fonctionnaires se sentent accusés, ils se disent «mal aimés» et s’estiment trop peu nombreux pour accomplir de manière satisfaisante les tâches d’intérêt général dont ils ont la charge.

Les réactions de l’opinion publique sont curieusement contradictoires. Dans l’ensemble, les Français dénoncent la pléthore de fonctionnaires mais protestent contre l’insuffisance des agents qui assurent le fonctionnement des principaux services publics. En outre, ceux qui critiquent le plus les fonctionnaires sont ceux qui regrettent le plus de ne pas appartenir à la fonction publique et qui en envient les avantages. En fait, pour les Français, la fonction publique évoque une double image: la stabilité de l’emploi que jalousent, tout en la dénonçant, ceux qui n’en bénéficient pas, la multitude d’agents publics que mettent en avant ceux qui déplorent l’improductivité de l’Administration.

À une époque marquée par le chômage, et où la sécurité apparaît comme une valeur suprême, la fonction publique semble être un îlot protégé, dans la mesure où la titularisation prémunit le fonctionnaire contre l’arbitraire patronal et contre tout risque de perte d’emploi, sauf cas exceptionnel de procédure disciplinaire. En entrant au service de la collectivité nationale, le fonctionnaire souscrirait en quelque sorte une assurance sécurité d’emploi. Ce sont sans doute les tensions du marché de l’emploi qui expliquent l’engouement qu’éprouvent, depuis plusieurs années, les jeunes Français à l’égard de la fonction publique. L’Administration a subi, entre les années 1955 et 1965, une grave crise de recrutement, dont le paroxysme se situe entre 1958 et 1961, lorsqu’elle s’est trouvée en concurrence avec un secteur privé en pleine expansion. Les salaires offerts, le dynamisme commercial des entreprises ont exercé un attrait certain sur les jeunes gens des classes creuses de l’immédiat avant-guerre ou de la guerre, qui arrivaient sur le marché du travail. Il n’était pas rare, à cette époque, que le nombre des candidats aux concours externes de catégorie A (corps recrutés au niveau de l’Université) et B (corps recrutés au niveau du baccalauréat) fût inférieur à celui des postes offerts ou ne le dépassât que de très peu. Ces chiffres laissent rêveur si l’on sait que, en 1978, 18 416 candidats se sont effectivement présentés au concours d’accès au corps d’agent de recouvrement du Trésor, pour 517 admis, 32 044 au concours de recrutement d’agent d’exploitation des P.T.T. pour 6 349 admissions. Enfin, le concours de contrôleur des impôts a attiré 7 203 candidats pour 400 postes. Ainsi, pour chaque emploi proposé par l’Administration, les candidats sont de plus en plus nombreux et cela à un moment où le recrutement de nouveaux fonctionnaires a sensiblement diminué, comme en témoigne le nombre de créations d’emplois prévu par les dernières lois de finances. Un tel afflux de candidats s’accompagne d’une surqualification des fonctionnaires dans la mesure où, faute de réussir à un concours correspondant à leur formation, des candidats diplômés de l’enseignement supérieur n’hésitent pas à se présenter à des concours de catégorie B (niveau baccalauréat) ou même C (niveau B.E.P.C.). Ce phénomène conduit apparemment à une élévation sensible du niveau culturel des fonctionnaires, mais, en réalité, la surqualification de milliers d’agents d’exécution transforme peu à peu l’Administration en machine à gérer des aigris ou des déclassés.

Par ailleurs, pendant longtemps, la localisation géographique du recrutement a été un symbole de la désaffection à l’égard de la fonction publique. Le douanier corse, le facteur du Sud-Ouest, le militaire lorrain constituent des stéréotypes familiers qui ont autrefois correspondu à une réalité. Pour des raisons économiques et politiques, certaines régions étaient traditionnellement exportatrices de fonctionnaires, un important transfert démographique s’effectuant des régions méridionales, peu industrialisées et aux débouchés rares, vers le nord de la Loire, où la main-d’œuvre disponible était absorbée par l’industrie. En outre, les régions conservatrices et catholiques de l’Ouest et de l’Est répugnaient à servir l’État laïque, tandis que les vieilles terres républicaines du Sud-Est, du Sud-Ouest et du Centre fournissaient les gros bataillons de la fonction publique. Mais, depuis quelques années, se dessine une évolution qui remet en cause ces données traditionnelles. La crise économique et le chômage, les difficultés particulières des bassins miniers et sidérurgiques se sont traduites par un afflux de fonctionnaires originaires du Nord et de l’Est, alors que les régions autrefois exportatrices sont devenues, en s’industrialisant, importatrices d’agents publics, comme le Sud-Est.

Le vieux thème des «budgétivores» a donné lieu à des variations infinies. Pour le contribuable, toujours prêt à dénoncer, en tant qu’usager, la pénurie d’enseignants, d’infirmiers ou de policiers, il y a trop de fonctionnaires, ils sont trop nombreux, ils l’ont toujours été et le phénomène s’accélère. En réalité, l’examen de la répartition des effectifs de la fonction publique souligne la difficulté de concilier le souci du contribuable, qui entend voir limiter les dépenses de personnel, et le désir de l’usager, qui réclame une amélioration de la qualité des prestations du service public. Selon les chiffres du budget de 1984, les emplois civils de l’État se répartiraient ainsi: éducation, université et jeunesse et sports 49,6 p. 100; P.T.T. 21,5 p. 100; économie et budget 9,8 p. 100; intérieur 8,2 p. 100; autres ministères 10,9 p. 100

En 1984, les ministères sociaux, c’est-à-dire Anciens Combattants, Santé et Travail, regroupaient 34 000 emplois budgétaires, celui de l’Agriculture 30 000 et celui de la Justice 46 700 dont un peu plus de 5 000 magistrats. Contrairement à certaines idées reçues, ce ne sont donc pas les «bureaucrates» qui constituent la plus grande partie de la fonction publique et qui sont responsables de l’accroissement des effectifs, mais essentiellement des enseignants et des agents des P.T.T. qui regroupent les deux tiers du personnel civil de l’État et dont l’utilité ne peut pas être contestée.

De par le volume de ses effectifs et l’ampleur de ses tâches, la fonction publique tient une place considérable dans la vie de la nation. On peut toutefois se demander si elle constitue un ensemble cohérent ou si, au contraire, elle n’est pas la somme de sous-ensembles flous.

Des sous-ensembles flous

Si autrefois la fonction publique a pu apparaître comme une caste privilégiée, dotée d’un statut préférentiel et imposant l’autorité de l’État aux simples citoyens, et si certains auteurs marxistes ont présenté les fonctionnaires comme de simples exécutants à la solde de la classe dirigeante, on doit constater que ni sa composition interne, ni la condition sociale de ses membres, ni la participation des fonctionnaires à la vie publique ne permettent de retenir une telle approche.

Dans l’ensemble socio-professionnel que constitue la fonction publique, l’analyse conduit à distinguer trois sous-ensembles qui, sans être totalement homogènes, n’en sont pas moins dotés de caractères spécifiques tenant à des comportements voisins ou résultant de l’appartenance à un milieu commun, qui permettent de les distinguer les uns des autres: les fonctionnaires supérieurs, les fonctionnaires moyens, et ceux qu’on appelle souvent les «petits fonctionnaires».

Les fonctionnaires supérieurs sont ceux qui sont classés dans la catégorie A, c’est-à-dire qu’ils exercent théoriquement des fonctions de conception et de direction après avoir été, en principe, recrutés au niveau de l’enseignement supérieur. Ils représentent 27 p. 100 des agents titulaires, mais cette catégorie est loin d’être homogène puisqu’elle regroupe à la fois les «hauts fonctionnaires» (préfets, conseillers d’État, inspecteurs des Finances...) et des fonctionnaires aux titres et aux responsabilités moins prestigieux (inspecteurs des impôts, du Trésor...), des administrateurs et des techniciens, ainsi que des enseignants qui constituent la majorité du cadre A (70 p. 100). Les fonctionnaires moyens (catégorie B) sont recrutés au niveau du baccalauréat et se voient confier des fonctions d’application. Ils représentent 34,5 p. 100 des titulaires et regroupent les contrôleurs des postes, du Trésor... ainsi que les instituteurs, qui forment près de la moitié de l’effectif. Enfin, les «petits fonctionnaires», qui appartiennent aux catégories C et D, sont chargés de tâches d’exécution. Composés des préposés, des agents d’application, des commis, ils représentent 38,5 p. 100 des titulaires. Il existe, dans la fonction publique comme dans d’autres milieux, une certaine hérédité professionnelle qui est le résultat d’une évidente rigidité sociale, mais elle est ici compensée par une promotion interne. L’examen de l’origine sociale des fonctionnaires montre, en effet, que la distribution des fonctionnaires dans les différentes catégories A, B, C et D est grossièrement parallèle à la stratification de l’ensemble de la société. Il ressort du recensement effectué par l’I.N.S.E.E. en 1969 et publié en 1976 que 40 p. 100 des agents titulaires et non titulaires, civils et militaires, de l’État avaient un père salarié du secteur public. Mais quelle que soit l’origine statutaire, c’est-à-dire l’appartenance du père au secteur public ou au secteur privé, on constate une relation directe entre le milieu d’origine et la place dans la hiérarchie administrative. Il est constant que les petits fonctionnaires se recrutent dans les familles modestes de petits fonctionnaires, de cultivateurs ou d’ouvriers (58 p. 100 des agents de catégorie D et 51 p. 100 des agents de catégorie C âgés de moins de 35 ans avaient un père employé ou ouvrier). Le recrutement des fonctionnaires moyens demeure largement populaire puisque 60 p. 100 des agents de catégorie B étaient fils ou filles de petits ou moyens salariés (ouvriers, employés, cadres moyens, cadres subalternes de la police ou de l’armée). La part des cadres supérieurs et des patrons du commerce et de l’industrie était évidemment beaucoup plus forte pour les fonctionnaires de catégorie A (39 p. 100 d’entre eux avaient un père cadre supérieur ou patron). Cependant, le recrutement de ces agents, s’il ne correspond pas fidèlement à la population française, reste assez démocratique, dans la mesure où un peu plus de la moitié des membres de la catégorie A étaient issus de petits ou moyens salariés. Quant aux «hauts fonctionnaires», leur recrutement s’est sensiblement ouvert aux couches sociales modestes, mais demeure, comme l’accès à l’enseignement supérieur, assez inégalitaire. On le voit, la fonction publique reflète largement la composition sociale de la nation, avec certaines inégalités pour les catégories supérieures, ce qui n’est d’ailleurs pas propre à la fonction publique.

L’accroissement du nombre d’agents du sexe féminin manifeste également cette tendance à refléter assez fidèlement la composition de la population. 48 p. 100 des emplois civils de l’État sont occupés par des femmes. La part des femmes dans la fonction publique était de un cinquième avant 1914, d’un quart entre les deux guerres, et d’un tiers au début des années soixante. Cette féminisation croissante de la fonction publique, qui est parfois présentée comme le signe de sa dévalorisation, voire de la prolétarisation de certains emplois, n’est pas due à la «nature» de la femme («les femmes sont d’excellentes bureaucrates, un peu lentes mais ponctuelles, dociles, exactes et minutieuses», écrivait un auteur du début du siècle), mais est surtout la conséquence de la prépondérance, dans l’administration, des activités tertiaires, secteur dans lequel les femmes représentent 50 p. 100 de la population salariée. Mais la féminisation varie suivant les ministères et le niveau hiérarchique des emplois. Si les femmes sont majoritaires dans l’enseignement ou dans les ministères sociaux, en revanche, les ministères régaliens (Défense, Intérieur, Finances) ou techniques (Agriculture, Industrie, Transports) connaissent un taux relativement faible de féminisation. La part des femmes dans les différents départements ministériels est d’autant plus forte que le ministère apparaît moins prestigieux. Le degré de féminisation dépend également de la place dans la hiérarchie administrative. Prise dans son ensemble, la population des fonctionnaires de sexe féminin est surtout une population d’agents d’exécution, les femmes étant proportionnellement moins nombreuses dans les emplois de catégorie A que dans ceux des catégories B et C, bien que la féminisation ait sensiblement progressé ces dernières années au sein de la catégorie A, du fait de l’accroissement du corps enseignant où les femmes sont fortement représentées (83 p. 100 des femmes de la catégorie A sont des enseignantes). En ce qui concerne la haute Administration, on constate une certaine résistance à la pénétration féminine car, si la création de l’École nationale d’administration a ouvert aux femmes l’accès aux grands corps et aux emplois les plus élevés de l’Administration, il n’y a qu’une faible proportion de femmes qui occupent ces postes. En réalité, tout se passe comme si l’Administration qui, au nom du principe d’égalité, traite de la même manière, sur le plan de la rémunération et de l’avancement, les hommes et les femmes, les considérait, en fait, comme des agents placés dans des conditions différentes. La féminisation croissante de la fonction publique depuis quelques années justifie l’importance du nombre des femmes dans les classes d’âge de moins de quarante ans. Mais ce phénomène n’explique pas tout, il faut également tenir compte du fait que, à la différence des hommes, beaucoup de femmes ne font pas carrière dans la fonction publique ou n’y font qu’une carrière courte, quittant leur activité professionnelle pour se consacrer à leur foyer. Toutefois, un certain nombre de nuances doivent être apportées. C’est, par exemple, parce que l’enseignement permet de concilier activité professionnelle et vie familiale que nombre de femmes optent pour cette voie. D’autre part, la possibilité d’exercer un emploi à temps partiel devrait freiner l’évasion féminine de la fonction publique.

On peut se demander si cette composition variée ne conduit pas à étabir une coupure entre les diverses catégories de fonctionnaires, coupure qui juxtaposerait des corps différents, voire antagonistes, qui se côtoieraient sans se pénétrer. En fait, si les sous-ensembles de la fonction publique, du sommet à la base de la hiérarchie, semblent parfois s’ignorer ou s’opposer, ils n’en manifestent pas moins des solidarités très fortes à l’égard du monde extérieur, qu’il s’agisse des administrés ou du pouvoir politique.

Citoyens parmi d’autres, les agents publics ne sont pas indifférents au débat politique. Leur formation, leur expérience ainsi que la disponibilité que leur laissent leurs fonctions, les conduisent à jouer un rôle politique marqué. Traditionnellement, les fonctionnaires, dans leur ensemble, inclinent plutôt vers les partis de gauche, qui ont toujours été favorables à un statut libéral de la fonction publique et refusent de voir dans les serviteurs de l’État des citoyens ou des travailleurs diminués. Sans qu’il y ait monopole dans ce domaine, la S.F.I.O. sous les IIIe et IVe Républiques, le Parti socialiste sous la Ve, et le Parti communiste ont souvent soutenu les revendications des fonctionnaires. Mais l’orientation politique de l’ensemble des fonctionnaires est loin d’être uniforme, du fait même de leur nombre et de leur hétérogénéité. Déterminées par l’origine sociale, les préférences politiques des fonctionnaires sont également liées à leur place dans la hiérarchie (les petits fonctionnaires étant souvent plus extrémistes que leurs supérieurs), à la nature de leurs fonctions (un policier ou un militaire n’ont pas la même sensibilité qu’un enseignant. Enfin, il existe une corrélation évidente entre opinions politiques et participation syndicale.

L’orientation globale vers la gauche, qui est supérieure chez les agents publics par rapport aux salariés du secteur privé, est un fait connu, mais on doit constater que sur le plan des opinions politiques, la fonction publique est loin d’être monolithique, et qu’en fait elle se trouve coupée en deux parties d’inégale importance. C’est presque un pléonasme d’écrire que les enseignants penchent massivement vers la gauche. En 1981, 80 p. 100 de ceux qui exprimaient une opinion auraient fait de François Mitterrand leur président. Mais il s’agit d’une attitude traditionnelle. En janvier 1973, par exemple, 76 p. 100 des instituteurs qui exprimaient leurs préférences politiques le faisaient, selon un sondage I.F.O.P., en faveur de la gauche et particulièrement en faveur du P.S. De même, à la veille des élections législatives de 1978, 80 p. 100 des enseignants affirmaient leur intention de voter pour un candidat de gauche. Mais on peut relever qu’il existe, face à cette fonction publique de gauche, une fonction publique plus conservatrice composée essentiellement de militaires et de policiers plus attirés par les valeurs d’ordre que par les partis du mouvement. Ainsi, des relations privilégiés entre la gauche et la fonction publique se sont établies depuis de nombreuses années, mais ces relations ne sont pas exclusives. C’est également ce que révèle l’engagement politique des fonctionnaires tel qu’il peut s’exprimer dans leur participation aux groupes parlementaires des partis. Un siècle et demi exactement après l’adoption d’une loi d’avril 1831, qui instaurait certaines incompatibilités afin de limiter la proportion des fonctionnaires dans la vie politique, les électeurs français ont envoyé en 1981 quelque 260 députés appartenant à la fonction publique pour les représenter à l’Assemblée nationale. On dénonçait les fonctionnaires parlementaires sous la monarchie de Juillet, lorsque dans la Chambre élue en 1834 on trouvait 276 fonctionnaires pour 459 députés; on ironisait sur la «République des professeurs» lorsque sous la IIIe République les instituteurs et les professeurs formaient les gros bataillons des partis de gauche. Avec la IVe et la Ve République, la pénétration du monde politique par les fonctionnaires va s’accentuer.

Les fonctionnaires, en activité ou en retraite, ont toujours représenté une proportion importante des députés, entre un cinquième et un tiers. À l’issue des élections législatives de 1981, la «Chambre rose» comportait plus de 50 p. 100 d’agents publics. Une analyse plus fine de cette pénétration des fonctionnaires dans la vie politique fait apparaître deux choses. En premier lieu, si l’année 1967 peut sembler une date charnière pour les effectifs globaux (on passe alors de 20 à 30 p. 100), la véritable coupure se situe en 1958, avec l’avènement d’une masse importante de hauts fonctionnaires, alors que jusqu’à cette date c’étaient les enseignants qui représentaient le groupe le plus nombreux. L’élection de 1981, en donnant aux enseignants 34 p. 100 des sièges à l’Assemblée, ne fait pas pour autant disparaître le courant technocratique puisque les anciens élèves de l’E.N.A., qui étaient 33 en 1978, reviennent à 23 en 1981. En second lieu, on peut constater que chaque parti ou groupe parlementaire a ses fonctionnaires, fonctionnaires qui se recrutent dans les diverses catégories. Certes, les enseignants siègent plutôt à gauche, et les hauts fonctionnaires appartiennent de préférence aux partis conservateurs, mais il y a toujours eu des enseignants à droite et le Parti socialiste s’est largement ouvert aux hauts fonctionnaires.

Ainsi, que ce soit au sein de la nouvelle majorité ou de l’ancienne, la vie politique se trouve affectée par l’irrésistible ascension des fonctionnaires. L’avènement de la république des fonctionnaires n’a pas manqué d’être critiqué, surtout lorsqu’il est apparu que l’arrivée de la gauche au pouvoir ne mettrait pas fin à cette surreprésentation. Ainsi que l’écrivait Jacques Julliard, en 1977, dans son livre Contre la politique professionnelle , «cette prédominance est si forte que la République socialiste de François Mitterrand risque d’être, si elle voit le jour, un précipité de la «République des professeurs», chère à Thibaudet, et de l’«Énarchie» que deux orfèvres en la matière, Jean-Pierre Chevènement et Didier Motchane, avaient naguère dénoncée sous le nom de Jacques Mandrin, avec une Assemblée où la proportion de députés fonctionnaires risque d’être plus forte que du temps de Guizot». On retiendra pourtant de cet afflux des fonctionnaires dans la vie politique que leur image, qu’ils croient parfois dépréciée, ne semble pas heurter l’électeur qui vote massivement pour eux.

Fonction publique ensemble des agents de l'État, des fonctionnaires.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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